Tomber de la Lune

Depuis sa tendre enfance, Diane ignore tout des circonstances entourant la mort de sa mère. Personne, parmi ses proches, n’a jamais voulu lui en parler. C’est devenu un sujet tabou au sein de la famille, si bien qu’elle n’a jamais vu le visage de celle qui l’a mise au monde. Cette ignorance la ronge. Pourquoi lui refusent-ils la vérité ? Pourquoi ne connaît-elle même pas le prénom de sa mère ?
Peu à peu, la jeune fille se replie sur elle-même, rongée par la tristesse et un vide qu’elle ne parvient pas à combler. Son corps finit par céder sous le poids de ses maux, et la maladie s’installe, gagne du terrain jour après jour. Elle s’aggrave au point que sa famille décide de l’envoyer à l’hôpital de son oncle, le frère de sa mère.
Diane ne veut pas mourir, mais elle sent les ténèbres l’engloutir au fil du temps. C’est dans cet établissement qu’elle fait la rencontre d’une jeune femme énigmatique avec qui elle se lie d’amitié et passe ses nuits d’insomnie. Qui est cette inconnue ? Diane parviendra-t-elle à se rétablir ? Que va-t-il se produire entre les murs de cet hôpital ? Pourra-t-elle trouver les réponses à ses questions ?
Nouvelle parution des éditions DELCOURT, Tomber de la lune explore un thème profond et universel : le deuil. Si, comme Bonbon de Chung Yoojin, l’ouvrage aborde la perte et l’au-delà, il s’en distingue par un ton plus sombre et introspectif. Là où Bonbon s’adresse aux plus jeunes avec douceur et poésie, Tomber de la lune plonge dans les non-dits familiaux et la quête d’identité, offrant un récit plus intime et mature.

Dans cet ouvrage, l’autrice et dessinatrice Yunbo exprime avec justesse la douleur profonde liée à l’absence d’une mère, ainsi que la difficulté de grandir dans l’ignorance de son histoire. Une souffrance faisant écho à celle des enfants nés sous X qui ne connaîtront certainement jamais leurs parents biologiques, mais également à celle des enfants élevés par un seul parent biologique, pour qui le souvenir du conjoint disparu demeure un sujet tabou. Elle nourrit une quête d’identité, un besoin de comprendre d’où nous venons pour savoir qui nous sommes.
Au travers des pages, les lecteurs découvrent avec étonnement et compassion que la protagoniste ignore jusqu’au prénom de sa mère, comme si cette dernière n’avait jamais existé, effacée de la mémoire familiale par le remariage de son père. Ce détail constitue la trame de l’histoire, car, comment construire une identité lorsqu’une partie de notre histoire nous est dissimulée, tue sciemment ? Cette absence maternelle biologique devient un poids, une douleur sourde et persistante que seules des réponses pourraient un jour apaiser.

Yunbo a longuement étudié l’art de la bande dessinée. Elle a d’ailleurs vécu plusieurs années en France afin de perfectionner ses compétences dans l’École européenne supérieure de l’image d’Angoulême. Artiste polyvalente, Yunbo semble maîtriser plusieurs styles graphiques qu’elle alterne ou qu’elle réinvente à chaque nouvel ouvrage. Ses deux premiers albums publiés en France, Je ne suis pas d’ici (2017) et Seizième Printemps (2021) en sont la preuve : le premier, en noir et blanc, adopte un style croquis et met en scène une protagoniste hybride mi- humaine mi- animale qui rappellent certaines bandes dessinées françaises ; tandis que le second propose une esthétique colorée, plus enfantine, avec des protagonistes anthropomorphes.
À leur différence, Tomber de la Lune se distingue par des personnages entièrement humains et des illustrations évoquant l’univers visuel du XIXe siècle. Les planches semblent avoir été peintes à l’aquarelle, conférant à l’album une délicatesse visuelle et une atmosphère mélancolique qui accompagnent parfaitement le ton introspectif du récit.
Pourtant, malgré la diversité graphique, Yunbo garde un fil conducteur : elle explore, dans chacun de ses ouvrages, le thème universel et douloureux de la quête d’identité.

Le grand atout qui ravira les lecteurs, et plus particulièrement les passionnés d’illustration, est le cahier graphique de huit pages placé à la fin de la bande dessinée. Véritable petit artbook, il nous plonge dans les coulisses de sa création : la conception des personnages, l’élaboration des planches, le choix des couleurs… Une belle manière de prolonger l’univers de Yunbo et d’apprécier pleinement son travail artistique.
Contrairement à d’autres œuvres qui explorent des thèmes coréens de manière plus directe que j’ai pu chroniquer, Tomber de la Lune s’inscrit dans un univers qui semble résolument plus européen. Ce choix se manifeste dans la représentation des personnages, qui ne portent pas les traits asiatiques, et dans l’ambiance générale de l’histoire. En dépit de l’origine coréenne de l’auteure, l’univers de ce livre adopte des décors, des styles visuels et des dynamiques sociales qui rappellent plutôt les récits européens.
Tomber de la Lune est le résultat d’un mélange culturel coréen et français, perceptible tant dans les illustrations et les choix esthétiques que dans le langage employé, bien que celui-ci soit plus récent que l’époque du scénario.
Tomber de la lune
Scénariste, illustratrice, dessinatrice, YunBo
Delcourt, avril 2025
152 pages, 24.50€
226 x 298 mm

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