Porté disparu en Corée du Nord

Divisée depuis 1945, la Corée comptabilise bientôt 80 ans de séparation. Ayant des contacts limités entre elles, chacune des deux Corées a évolué différemment. La Corée du Sud est dorénavant renommée pour sa haute technologie, sa musique, ses produits de beauté, … Tandis que la Corée du Nord, elle, est connue pour ses frontières impénétrables, sa sécurité renforcée et ses missiles nucléaires, notamment ceux envoyés en direction du Japon. Sans surprise, la Corée du Nord est catégorisée comme l’un des pays les plus fermés, dangereux et mystérieux de notre époque.
Après avoir été détrônée par l’Afghanistan en 2022, elle retrouve sa place en 2023 et 2024 à la tête de l’index mondial de persécution des chrétiens. Souvent, c’est dans les pays les plus fermés que l’oppression envers les croyants de toutes religions est la plus forte. Ces hommes et ces femmes doivent y vivre cachés, dans la peur que leur foi soit exposée. Selon Jan Vermeer, dans le meilleur cas, lorsque ces chrétiens sont découverts, on leur donnerait la possibilité de renier leurs convictions et / ou on les enverrait dans des camps de “rééducations”. Pour le pire des cas, ils seraient tués sur le champ et leur famille en paierait le prix durant de longues années. En effet, la Corée du Nord est un pays où les liens familiaux sont primordiaux; les métiers sont généralement héréditaires sinon c’est l’Etat qui attribue un travail selon le besoin. Avant les années 2000, il n’y avait presque aucune possibilité de choisir sa voie et si une des personnes de la famille commettait une faute, le reste devait réparer les erreurs, parfois même de leur vie. « En tant que membre de la famille d’un traître, vous méritez aussi d’être mis aux travaux forcés » (Porté disparu en Corée du Nord page 260).
En 1994, le premier président de la Corée du Nord, le président éternel Kim-Il-Sung, décède. En découle trois années de deuil national où le nouveau chef d’État Kim-Jeong-Il, son fils, se consacrera en priorité à son pouvoir. A partir de cette date, durant cinq années, le pays connut une abominable famine. On estime qu’il y a eu à peu près deux millions de morts. Face à cette catastrophe, de nombreux Nord-Coréens ont tenté de fuir le pays. Certains pour une durée provisoire, d’autres de manière définitive.
La Chine fut, de par son ambassade Sud-Coréenne à Pékin, la première région visée, mais celle-ci prit rapidement parti pour la Corée du Nord et y renvoya les réfugiés. Au fil du temps, d’autres destinations qui possédaient des délégations Sud-Coréennes s’établirent comme la Mongolie (Oulan-Bator) et la Thaïlande (Bangkok), mais cela restaient des trajets dangereux.
Depuis maintenant une décennie (2012), Kim-Jong-Un et Xi Jinping, le président chinois, sont arrivés au pouvoir. Ensemble, ils ont décidé de renforcer le contrôle de la frontière entre la Chine et la Corée du Nord : installation de clôture plus sophistiqués, renforcement de la surveillance, de plus en plus de gardes frontières, des satellites, des drones, des espions dans la région de Yangji… Il devient alors de plus en plus difficile aux Nord-Coréens de traverser la frontière.
Depuis les années 2000, la Corée du Nord ne connaît plus de famine, cependant, les frontières sont de plus en plus renforcées. Les personnes qui allaient en Chine, se convertissaient et revenaient en Corée du Nord ne peuvent plus le faire. Les frontières sont hautement surveillées, il est devenu impossible de quitter clandestinement le pays. La surveillance auprès des chrétiens s’est renforcée, majoritairement à la frontière chinoise, dans le Yanbian, là où de nombreux missionnaires protestants Sud-Coréens se trouvent pour aider les réfugiés Nord-Coréens. La plupart du temps, les personnes qui ont réussi à traverser se réfugient en Corée du Sud où ils seront plus libres d’exploiter leur foi et où la nationalité coréenne leur sera donné facilement, mais d’autres, telle que la co-auteur du roman “Deux coréennes”, Jihyun Park, ont préféré partir en Occident.
L’auteur Jan Vermeer à rédiger quelques romans inspirés de faits réels sur la Corée du Nord tels que “Porté disparu en Corée du Nord” ou “Ils étaient frères de sang”. Chacun d’entre eux traitent des situations difficiles dans ce pays, en majorité de la famine de 1994 à 1999 et des chrétiens durant cette période.

Porté disparu en Corée du Nord est un mélange entre événements historiques et histoire fictive comportant des éléments issus de faits réels tel que la traversé du fleuve Tunmen pour aller en Chine. Le scénario est délimité en quatre parties centrées sur le personnage de Han Jae et sur sa famille. La première division du roman raconte la rencontre entre le protagoniste et sa femme, mettant en lumière le tempérament intrépide et imprudent d’Han Jae. La deuxième énonce la séparation de la famille dû à la découverte de leur foi chrétienne, la troisième marque le retour d’une famille unie dans la détresse et la dernière montre l’horreur des camps de travail et de rééducations Nord-Coréens.
Han Jae est un jeune homme désinvolte, rusé et audacieux. Il n’hésite pas, dans une situation difficile, à s’adresser et mentir directement aux personnes qui peuvent l’envoyer en prison et/ou le tuer, pour une pomme ou pour courtiser une femme. C’est un comportement inattendu pour un livre relatant de la Corée du Nord, cependant, au fil de la lecture, les côtés sombres et mal honnêtes des citoyens Nord-Coréens du roman développent la pitié et l’injustice chez les lecteurs. Au début, Jae est simplement un jeune homme qui veut vivre sa vie comme il l’entend. Il ne veut pas reprendre la tête du réseau chrétien clandestin de son père, il ne veut pas risquer sa vie. Pages soixante-quinze : “Je pense que Dieu est égoïste et comment peut-il exiger que l’on risque tous les jours nos vies ? Pourquoi cette souffrance dans le monde ? Dans ce pays ? pourquoi je ne pourrais pas me marier avec qui je veux ? Pourquoi je suis séparé de la femme que j’aime par un système de classes et par la foi ?”. Pour lui, la Bible dispense des paroles vaines, purement théologiques. Pourtant, après la mort de son père et la conversion de sa femme, il reprend le réseau de chrétiens, devient plus sérieux et s’engage totalement dans sa foi en Dieu. Un jour, il doit partir pour une courte durée aider un groupe de croyants, malheureusement, pendant son abscence, sa femme et son enfant restés à la maison découvrent qu’ils sont surveillés par un homme des services secrets. Précipitamment, celle-ci part avec son fils pour rejoindre Jae mais tout ne se passe pas comme prévu.
Dès les premières phrases, Jan Vermeer met en avant Dieu, où du moins un des rites du monde chrétien : la prière. “Qu’est-ce-que tu marmonnes ?” “Je prie. En silence”. Cette mise en situation donne aux lecteurs la clef et le lien directif du livre, celui-ci reposera entièrement sur la prière et sur la foi; “ce n’est qu’une question de confiance, mon cher ! De confiance et de foi” page 17.
Dans ce roman, la prière est exprimée de différentes manières : à l’oral quand cela est possible, à l’écrit par des versets bibliques et mentalement la majorité du temps. Ils s’en servent en permanence, quand tout va bien dans leur vie et même quand tout va mal. Ils se raccrochent à cette discussion avec Dieu qui peut sembler à sens unique et minime mais qui pour eux est un motif de courage et de force. Han Jae prie pour la protection de sa famille, pour que personne ne les voit, pour la nourriture, pour le commencement de la journée, … C’est devenu vital pour eux.

En ce qui concerne la foi, le père de Han Jae donne cette définition : « vous n’acceptez pas Jésus pour recevoir des cadeaux, vous acceptez Jésus pour Dieu », « Si tu me suis ne t’attends à aucun confort. Si tu me suis, tu n’auras que moi. La question que Jésus nous pose ici est la suivante : choisirons-nous le confort ou choisirons-nous la croix »,“Nous devons suivre Jésus uniquement pour Jésus et non pour ses dons. C’est-à-dire, allons nous mourir en tant que personnes religieuses ou en tant que personnes engagées”. La foi, c’est ne rien attendre en retour, la foi c’est agir en croyant que Dieu dit toujours la vérité. De la même manière que la prière, la foi est présentée et expliquée tout au long du livre.
Là où le personnage Jae comprend que Dieu existe, c’est lorsqu’il y a un incendie dans la maison de la femme qu’il aime et qu’il crie à Dieu de l’aider à la sauver et de l’aider à récupérer les portraits des grands dirigeants Nord-Coréens. Face à ce feu, il n’a aucun moyen de survivre, toutefois, s’il ne récupère pas les tableaux, il perdra aussi la vie. Sauver une femme et non les représentations des présidents était vu comme un acte de rebéllion. Alors, Han Jae, après avoir sauvé la femme, pria de nouveau et retourna dans la maison en flame pour aller les chercher.
À travers les pages, un deuxième rite chrétien apparaît : la louange. En effet, bien que celle-ci soit plusieurs fois décrite et réalisée envers les présidents Nord-Coréens, elle est citée dans le livre comme une glorification de Dieu. “Hye chantait comme devaient le faire les anges devant le trône de Dieu” page 52. Les lecteurs peuvent retrouver ces rites dans le culte de la personnalité des chefs d’Etats Nord-coréens notamment avec ce chant tiré du roman :
Je suis un bouton de fleur.
Chant de Maternelle page 27
Vais-je éclore pour cette brise de printemps ?
Vais-je éclore pour cette jolie abeille ?
Oh non ! Je vais éclore pour l’amour de mon Dirigeant.
Je suis un bouton de fleur de Corée
Dans Porté disparu en Corée du Nord, il est expliqué qu’à l’école les chrétiens sont décrits comme des kidnappeurs et vendeurs d’organes d’enfants. Les enseignants donnent aux enfants une image de bête sanguinaire se cachant au milieu des humains. Les croyants sont perçus comme des personnes dangereuses à éradiquer. À la page 111, un inspecteur des services nationaux donne une définition des chrétiens : “De bonnes personnes vues de l’extérieur, mais en réalité des gens plus destructeurs que des insectes, plus dangereux que la vermine qui répand les pires maladies, et plus terrible qu’une meute de loups affamés face à un homme innocent”. Quelques pages plus loin, ils sont même considérés comme des espions américains ou des traîtres au régime Nord-Coréen. L’État les considère comme des ennemies de la nation, comme des personnes pouvant renverser le pouvoir car la religion chrétienne vient de l’Occident et est la religion officielle des Etats Unis, l’Etat ennemi de la Corée du Nord. Cependant, la vision de la vie quotidienne de ces hommes et de ces femmes donnée par les livres de Van Vermeer, ici Porté disparu en Corée du Nord, indique qu’ils ne cherchent point la guerre ou la religion. Leur seul désir est de pouvoir exploiter librement leur croyance sans risquer leur vie.

À de nombreuses reprises les chrétiens ont dû agir contre leurs principes et contre les dix commandement de la Bible pour survivre. Pour cause de famine, ils ont dû voler de la nourriture, pour cause de leur foi ils ont dû mentir, … Dans ce roman, il est écrit que bien qu’ils aient fait des choses mal, Dieu a tourné les situations en bien pour qu’ils survivent, pour qu’ils fassent des rencontres, pour qu’ils puissent le remercier. Il permet le malheur pour que les Hommes se rapprochent de lui.
Les chrétiens cités par l’auteur vivent dans une peur constante d’être découvert. Ils ne doivent parler de Dieu qu’après dix heures, lorsque leur voisins dorment. Ils ne peuvent pas parler de leur foi à leur enfant ni posséder de Bible chez eux. Han Jae enseigne la Bible à son fils comme enseignait Jésus à ses disciples, par des histoires. C’était le seul moyen pour lui faire découvrir Dieu, sans lui expliquer clairement qui c’était.
D’après l’auteur, tous les faits et gestes des Nord-Coréens sont épiés et analysés par les services secrets. Le moindre faux pas peut les mener à leur perte, tel que la visite répétée d’une personne ou rentrer après le couvre feu. Les maisons sont fouillées presque toutes les deux semaines, la police regarde si les portraits des dirigeants sont bien nettoyés, qu’il n’y a aucune poussière dessus, qu’il n’y a pas de trou ou d’endroit pouvant abriter des objets religieux ou interdit par la loi. L’impression d’être prisonnier avant même d’avoir été attrapé. Une situation qui rappelle celle des juifs pendant la seconde guerre mondiale.
Ici, les croyants sont obligés d’apprendre des passages de la Bible par cœur, ce qui n’est pas vraiment négatif puisque ça leur donne en tout temps accès à la “parole de Dieu” mais aussi, ça leur permet de recevoir une réponse, un signe de Dieu grâce à un verset venu soudainement en tête. L’extrait de la Bible qui revient le plus dans ce roman est un passage tiré du Chapitre de Job : “L’Eternel a donné et l’Eternel a repris. Que le nom de l’éternel soit béni !” Page 184. En effet, Han Jae se retrouve dans la même situation que Job, il perd tout; sa famille, ses amis, son argent mais garde la foi en Dieu. Il continue de croire et garde espoir pour le futur. Dans une prière page 129 : “tu as promis qu’un jour il n’y aurait plus de faim et plus de mort. Plus de guerre ni de maladie. Plus de peur ni de tristesse”.
À partir de la deuxième partie de Porté disparu en Corée du Nord, un nouveau personnage important fait son apparition, l’inspecteur Park qui se fait appeler Holmes. C’est un homme qui se prend pour Dieu. Connaissant la majorité des cultures et des œuvres littéraires et musicales étrangères, il se sent supérieur aux autres. A maintes reprises, cet inspecteur assura que c’était lui la loi et que les autres devaient se plier à ses exigences. “Il me semble de toute façon qu’il serait approprié et que je sois assis sur une chaise et que vous soyez à genoux devant moi” page 110. La vengeance est ce qu’il recherche. Il sait que si les chrétiens meurent en haïssant quelqu’un ils n’auront pas leur place au paradis. Tout au long du roman, il pourchasse donc cette famille et leur fait vivre des moments difficiles simplement dans le but de voir la haine dans leurs yeux.
Le principe : « fais aux autres ce que tu veux qu’ils fassent pour toi », connu sous le nom de règle d’or, est biblique. Pourtant c’est le chasseur de chrétien qui a prononcé cette phrase. Lui qui ne veut pas qu’on le regarde dans les yeux et qui se sent tout puissant, prononce une phrase issue de la Bible, ce texte qu’il déteste tant. Paradoxalement, il a développé une haine contre cette religion et ces personnes alors qu’il a reçu une éducation chrétienne.

L’abandon de Dieu est l’un des thèmes prépondérants des deux dernières parties du roman. Comme Job, le personnage de Han Jae se retrouve sans rien, il crie à Dieu mais seul le verset “L’Eternel a donné et l’Eternel a repris. Que le nom de l’Eternel soit béni !” lui répond. Tel Jésus sur la croix, il demande “pourquoi mon Dieu m’as-tu abandonné”. Toutefois, lorsque les moments de tempêtes ont disparu, il se rend compte que Dieu était là, à chaque instant. Cet homme qui avait aidé son fils, cette dame qui lui avait donné du pain, ces paroles de réconfort, … Tout au long du récit, Van Vermeer a dissimulé des références à Dieu. Il l’a représenté comme une personne aimante, lumineuse, avec un amour sans limite, en outre, d’un père qui n’abandonne jamais son enfant.
Malgré la famine et la misère Han Jae et sa famille ont cru fermement en Dieu. Même après avoir été séparés de sa femme, avoir perdu son fils, avoir été dans ce camp et cette prison, ils a su s’accrocher à cet espoir, cette croyance qui lui a donné la force de se battre pour vivre. Les chrétiens ont montré par divers procédés tels que la louange, les passages bibliques, la prière, qu’ils avaient de nombreux moyens pour rester proche de leur religion. Le partage et l’altruisme sont très présents dans ce livre et contrastent avec les actes et les comportements des personnages athées, ou du moins qui pensent l’être. La doctrine et le culte de la personnalité sont ici perçus comme une religion à part entière de par la vénération des présidents, même lorsqu’ils sont morts et par l’adoration de leurs statues. A travers la lecture plusieurs dilemmes apparaissent tel que manger quelque chose qui a été volé ou continuer d’avoir faim, continuer à partager ou manger la dernière cuillère de riz, développer de la haine ou garder sa foi.
Porté disparu en Corée du Nord traite de nombreux sujets bien que le thème principal reste la religion chrétienne et la relation qu’entretien Jae et Dieu. Les faits historiques sont bien détaillés et transposés au milieu de l’histoire principale.
C’est une histoire touchante et prenante qui amène le lecteur dans des lieux inconnus et délabrés. Tel un film d’horreur, il explique l’atrocité des camps de concentration et de rééducation pour les chrétiens, de leur persécution mais aussi de leur folie de ne pas renier leur Dieu face à la mort. Les personnages sont attachants et leur relation avec leur Dieu semble aussi incompréhensible que naturelle. Un émouvant scénario qui projette les lecteurs dans un monde où seules les croyances peuvent nous sauver.
Porté disparu en Corée du Nord
Auteur, Jan Vermeer
blféditions, 2018
320 pages, 16€
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